Tout a commencé avec le visionnage de Into the Inferno lorsque nous étions en Papaousie.

https://www.youtube.com/watch?v=YoSmPkWmG4k

Nous ne le savions pas encore, mais l’idée de visiter le Vanuatu avait été implantée à ce moment-là… Plusieurs mois plus tard, en lisant le Lonely Planet Vanuatu et Nouvelle-Calédonie, je me rends compte du côté unique des volcans du Vanuatu, et c’est là que nous décidons d’y faire un arrêt de 8 jours, juste le temps de visiter l’île d’Ambrym.

Début janvier, nous voilà donc dans un petit avion de 20 places, où je pouvais observer avec méfiance l’océan en contre-bas par les interstices de la porte d’embarquement mal scellée (j’ai précisé qu’on était au Vanuatu ?). Le vol a décollé avec 35 minutes d’avance, on est presque arrivé à destination à l’heure où on devait partir. Les vols là-bas partent quand ils peuvent, parce que la météo change vite et ne permet pas toujours des décollages et atterrissages (pistes en terre sur pas mal d’îles)…
Julia a décidé qu’une fois arrivés sur Ambrym, cette île isolée au milieu du Pacifique, c’était le moment idéal pour faire sa 1ère intoxication alimentaire du voyage… Donc plusieurs heures de souffrance pour elle l’après-midi, mais le soir ça allait déjà mieux. Notre logement s’est transformé en théâtre des horreurs le soir venu : des dizaines de cafards infestaient les allées dehors, j’ai manqué en écraser plusieurs en voulant les éviter mais ils bougeaient très vite, des araignées s’étaient installées sur la moustiquaire de la chambre de l’unique touriste présente avec nous, et apparemment notre salle de bains était déjà infestée de cafards d’après Julia, donc la toilette s’effectue dehors.

 

 

Le lendemain matin, on décide de commencer le trek comme prévu, Julia s’est remise de son intoxication alimentaire. Après avoir oublié la nourriture, notre guide fait demi-tour et retourne la chercher. Ce n’était que le début d’une organisation hasardeuse en laquelle j’avais peu confiance… D’ailleurs heureusement qu’on a insisté pour ramener nos litres d’eau sur place, puisque là-bas il n’y a que de l’eau de pluie acide qui pique les yeux, souillée par les émissions de gaz des volcans, à purifier. On a croisé un autre touriste Français le dernier jour qui n’avait apporté qu’une bouteille à boire pour 3 jours de trek, c’est nous qui lui avons appris que c’était à lui d’apporter toute son eau, vous voyez la super communication avec les guides (il venait de marcher 3 ou 4 heures dans une jungle très dense sous la pluie, donc pas question de faire marche arrière, et il se dirigeait vers une tempête infernale… le pauvre a dû bien souffrir).

 

 

Après 4 heures de marche dans la jungle, dont la moitié sous la pluie, on arrive bien trempés au camp de base, au bord de la caldeira, à 2 ou 3 km des 2 volcans. Ce sont parmi les volcans les plus actifs du monde. Ils ne sont approchables que lorsque le niveau d’alerte est au maximum à 2. Or jusqu’à mi-décembre, moins d’un mois avant notre arrivée, le niveau était encore à 3, ce qui signifie que l’activité est trop dangereuse pour s’en approcher à plus de 2 ou 3 km. On avait acheté nos billets d’avion pour le Vanuatu en comptant sur notre chance pour que le niveau repasse à 2 d’ici janvier, ce qui fut donc le cas !

 

 

Il n’était pas possible de tenter une ascension le 1er soir, le temps est pourri et il va faire nuit dans 2 heures environ (plus le fait que notre 1er guide était assez feignant au final et se plaignait d’avoir mal au dos). La météo finalement se calme entre 17 et 20h, l’occasion de voir le rougeoiement de la lave des volcans se projeter dans les nuages qu’ils créent au-dessus d’eux, magique !

 

 

On se couche dans notre tente, à même le sol, puisqu’après avoir demandé environ 10 fois s’il y aurait bien des matelas, on a découvert que bien sûr il n’y en avait pas, et qu’on était déjà chanceux d’avoir une tente prêtée par le guide (…). On se couche, les heures passent péniblement, si vous avez déjà dormi par terre sans rien (là le sol c’était de la cendre compressée par l’eau, donc comme du béton) vous savez ce que c’est, en plus trek oblige, plus le petit vol interne qui limite les bagages à 15 kg chacun, on avait vraiment le strict minimum.

Ah oui, au passage, on nous a carrément pesé nous avec notre sac à l’aéroport, pas d’entourloupe comme ça ! En Nouvelle-Calédonie on trichait comme c’est pas permis en cachant les trucs lourds de notre sac en cabine soit dans nos poches pleines à craquer avec la doudoune autour de la taille (super crédible alors qu’il fait plus de 30° dehors…), soit carrément en posant l’ordi et la bouteille d’eau par terre derrière le comptoir le temps de peser le sac 😀 Je déconseille cette méthode dans un aéroport sérieux mais là on parle d’un pays où les gamins se baladent avec leur arme factice dans la salle d’embarquement donc on était encore soft dans notre comportement.

Tout ça pour dire qu’on avait donc pas vraiment de vêtements à poser au sol pour amortir tout ça, et puis la moitié de nos vêtements était de toute façon déjà étendue pour tenter de sécher (ce qui fut un échec même après 36h d’attente tellement le taux d’humidité était élevé…). Bref, les heures passent et on les sent passer, et puis au bout d’un moment je suis réveillé par des gouttes de pluie sur mon visage, je décide de me retourner et d’inverser les pieds et la tête, et je n’y pense plus. Quelques minutes plus tard, de nouveau des gouttes sur le visage. Là je me lève et j’inspecte avec la lampe, je constate que l’eau commence à s’infiltrer par terre très rapidement et que mon sac de couchage est déjà mouillé. J’enlève mes boules Quiès et autant avec j’entendais déjà la pluie, autant sans c’est un déluge qui a en fait lieu dehors !
Quand je vois les cheveux de Julia perler d’eau, je me dis qu’il est temps de la réveiller. Elle râle bien entendu puisqu’elle dormait étonnamment bien, mais se rend compte à son tour que la nuit dans ces conditions va s’achever ici. On bouge vite nos affaires, en se prenant une douche pendant la minute nécessaire au retour à l’abri-cuisine, heureusement couvert par un toit, mais sans mur. Julia n’a pas fini sa nuit pour autant et, n’écoutant que son courage, retourne chercher la tente sous l’eau pour l’installer au milieu de l’abri-cuisine, prenant une bonne partie de la place disponible. On sèche l’intérieur de la tente et on se recouche. La pluie ne s’arrête pas, les heures défilent et l’ambiance est morose. On sort de la tente vers 9h pour manger. On se recouche, on “dort” encore un peu, puis il est l’heure de déjeuner. Parfois la pluie se calme quelques minutes, mais de manière générale le déluge semble sans fin, on n’a jamais vu ça, même la mousson en Asie c’est quelques heures par jour seulement.

 

 

Changement de guide et de porteurs vers l’heure du déjeuner. Les guides sur cette île font chacun la portion correspondant à leur village d’origine, en se passant le relai. Les coups de tonnerre sont énormes et sans interruption. Les éclairs sont surpuissants également et plusieurs fois les filles sursautent.

 

 

Vers 15h30, après près de 20h d’affilée, la pluie s’arrête et ce qui ressemble à une éclaircie me redonne espoir. On ne voit toujours pas le soleil (on ne le verra jamais au final), mais je motive les troupes et on part avec le guide et un porteur. Le rythme est très soutenu, il nous reste 2h30 avant le coucher du soleil environ, or l’aller-retour sur le volcan le plus proche prend 3h… On marche vraiment vite, sans la pluie, ce sera quasiment le seul moment de répit de ces 4 jours, on traverse des paysages désolés avec une végétation éparse sans animaux, c’est superbe si on aime les paysages de fin du monde. On grimpe sur des crêtes qui ne pardonneront pas un pas de côté. Nos guides font tout ça pieds nus, des tarés…

 

 

On arrive assez rapidement au sommet, et là va commencer une descente en enfer.
La pente est extrêmement abrupte, et se retourner pour regarder le chemin d’où l’on vient ne laisse voir qu’un mur noir… La descente dans le cratère prend du temps, chaque pas doit être précis dans cet environnement peu amène. On voit un lac un peu plus loin, puis on arrive à l’endroit qui cristallise toutes nos folles attentes…

 

 

Le bouillonnant lac de lave en fusion au fond du gouffre. La vue est dantesque et complètement folle, rien dans notre vie ne nous a préparé à ça (si ce n’est peut-être la fin de The Lord of the Rings) : au fond du cratère, 50 m plus bas, la lave explose dans un bouillonnement continu en bulles orange fluo contre les parois verticales qui reflètent ce rougeoiement fascinant.

 

 

La contemplation est de courte durée, quelques instants d’émerveillement, quelques photos et un petit vol de drone seulement et notre guide repart déjà : il va faire nuit dans 40 minutes, on est au fond du cratère et il n’a jamais fait le chemin de nuit. Inutile de dire qu’il y a des endroits plus hospitaliers qu’ici pour passer la nuit… De toute façon, les vapeurs de soufre nous entourent d’un coup et irritent la gorge, on ne peut pas rester là, on ne voit plus bien.

Le retour se fait aussi rapidement que l’aller, c’est assez dur de suivre le rythme du guide, d’autant plus que chaque minute de cette randonnée mérite d’être filmée et prise en photo. Les jours suivants j’aurai les jambes en compote à cause de ça. La brume s’est levée aussi bien à l’intérieur du cratère qu’a l’extérieur, lorsque je prends quelques secondes pour faire un plan ou une photo, je perds déjà de vue Julia et les autres.

 

 

Au moment où on rejoint la caldeira, il fait vraiment sombre. On finit à la lampe frontale. On arrive fatigués et encore sous le choc de cette lave dévastatrice si proche de nous. On mange rapidement un repas frugal et on se couche.
Cette 2ème nuit est aussi horrible que la 1ère, je dors encore moins bien. Le sol se fait sentir plus que jamais et toutes les positions apportent leur lot de problèmes. À 4h je n’en peux plus, et je vais contempler seul les volcans sur la caldeira puisque par chance il ne pleut pas.

On espérait faire l’ascension du 2ème volcan le dernier matin mais la météo devient désastreuse à nouveau et c’est sous des trombes d’eau qu’on prend le chemin du retour. Près de 3h de marche sur la cendre noire de la caldeira, dont la moitié sous la pluie, puis environ 3h de marche dans la jungle sous une douche constante d’une puissance jamais vue. Nous sommes archi-trempés en 2 minutes, les jambes sont lourdes après 2 nuits d’un sommeil presque inexistant et pas du tout réparateur, les épaules sont endolories. On finit en traversant des rivières avec les pieds dans 40 centimètres de flotte, nos chaussures prennent très cher, le tout émaillé de coups et de roulements de tonnerre très proches d’une durée et d’une intensité terrifiantes. On a jamais vu ça ! On n’imagine même pas ce que peut donner un cyclone ici, comme le dévastateur cyclone Pam de 2015 qui avait presque rasé leur village… Là c’est une “simple” tempête pour eux, pour nous c’est l’apocalypse et on est au bout de notre vie.

 

 

On longe le bord de mer vers la fin, on vérifie que l’état de la mer dans ces conditions est un pur cauchemar. Petit aparté : devant l’avion de retour complet sur l’île principal du pays, j’avais un moment caresser l’idée de faire une traversée en bateau pour rejoindre l’île la plus proche et un autre aéroport. Cette idée a été vite étouffée par la lecture d’un blog d’un couple l’ayant fait. Cette traversée en bateau a été le cauchemar absolu de leurs nombreux mois, si ce n’est années, de voyage. Ils ont cru que leur bateau, une frêle et minuscule barque en pleine traversée d’océan, allait se retourner à chaque instant. Ils ont passé l’essentiel de l’1h40 qu’a duré la traversée les yeux fermés. On parle de 20 km seulement… À noter que ce couple a tout de même, outre cette randonnée dans les volcans, fait d’autres trucs bien tarés dans le même genre : des campings au bord de cratères de volcans actifs en Indonésie, etc. Bref, j’ai contacté ce couple, et si eux me déconseillent cette traversée en bateau autant qu’ils nous incitent à aller au fond du cratère, je les écoute tout de suite ! En plus ils m’apprennent que les accidents arrivent tout le temps sur cette traversée, et lorsqu’ils racontaient aux habitants de l’île qu’ils l’avaient fait, on les regardait avec des yeux effrayés, en leur demandant “how was it…?”. Pour finir, dernière anecdote, cette traversée en bateau amène sur une île où le cannibalisme était toujours d’actualité… en 1969 !
Comment a-t-on fait du coup pour rejoindre notre île de départ et sortir d’ici ? Après quelques jours d’hésitation à cause du prix, on a décidé de se payer une folie : notre vol privatisé, un avion affrété juste pour nous 2 😀 Oui, au Vanuatu, c’est possible de faire appel à un Air Taxi. C’est cher à 2 mais on voulait tellement voir ces volcans qu’on a fait ce sacrifice après avoir un peu dealé le prix à la baisse… J’ai posté une annonce pour trouver des passagers pour partager les frais mais personne n’a répondu.

Revenons à la fin du trek : on arrive enfin au village d’arrivée, la pluie fait une accalmie, avant de reprendre aussi assourdissante peu après. 1ère douche (froide) depuis 4 jours, tous nos vêtements sont soit trempés soit humides. Rien ne sèche ici…

L’autre touriste française avec qui nous avons partagé toute cette aventure constate avec effroi s’être fait voler l’équivalent de 500 euros. Elle soupçonne le dernier groupe de guide et de porteurs de lui avoir subtilisé ça dans la nuit.
Après l’absence de matelas, de masque à gaz, les tentes trouées, les repas du matin et du midi ridicules (des crackers), c’est vraiment la touche finale de ces 4 jours intenses et éprouvants. Julia et moi dormions avec notre sac dans la tente en bons touristes qui ne font par principe confiance à personne, donc on a au moins échappé à ça.

Le lendemain, jour du départ, la pluie s’est arrêtée. On visite le village et on découvre une maison qui s’est écroulée la veille à cause de la pluie, les habitants vont devoir la reconstruire. On en profite pour rencontrer le chef du village, Chief Moses, que nous avions vu quelques mois plus tôt dans le documentaire Into the Inferno. Nous montrons le début du documentaire au chef, qui ne l’a pas vu. On essaie de lui donner le film sur sa tablette mais elle est d’un autre âge et c’est sans succès. Il nous demande de lui envoyer le film sur une carte micro SD à notre retour à Port Vila. On s’occupe donc de ça à notre retour. J’arrive à peine à prendre une photo de lui, le taux d’humidité est tel que nos appareils photo sont à 2 doigts de rendre l’âme.

 

 

Il est déjà temps de rejoindre l’aéroport. Après une bonne demie-heure à l’arrière d’un pick-up sur une route défoncée et boueuse, nous arrivons à ce qui n’est qu’un bâtiment devant une piste en terre. L’agent d’Air Vanuatu présent nous dit qu’hier, voire les jours précédents, les vol auraient été impossibles ici à cause du sol gorgé d’eau (des touristes français sont déjà morts dans ces conditions il y a quelques années, l’avion n’ayant pas réussi son décollage). De toute façon il n’y avait pas de vol prévu hier, il y en a 2 ou 3 seulement par semaine. Les vols se remplissent tellement vite que nous avons dû privatiser un avion juste pour nous 2 comme je l’expliquais plus haut ! C’est très cher pour 35 minutes de vol mais on a plus de chance de rentrer en vie. C’est ça le Vanuatu…

Notre avion arrive à l’heure, mais une fumée noire s’échappe du moteur. Le pilote est français, il semble sortir tout droit de Versailles, c’est complètement improbable. Il ouvre le moteur de l’avion devant nous et vérifie le niveau d’huile. Au bout de 45 minutes, il décide qu’on peut décoller, le niveau d’huile est suffisant pour rentrer sur Port Vila. Julia est moyennement rassurée, mais on a pas vraiment le choix pour s’échapper de cette île éprouvante. Je m’installe à la place du co-pilote, prêt à prendre le manche si notre pilote s’évanouissait 😀

 

 

Le vol est assourdissant, et finalement pas aussi effrayant que notre vol du Népal depuis l’aéroport le plus dangereux du monde. Survoler des océans avec une mer agitée et infestée de requins et des volcans en activité semble moins pire que voler entre des montagnes de plusieurs milliers de mètres sous la pluie… Je manque juste d’ouvrir la porte avec ma manche qui se prend dans la poignée à un moment (oui, sur ce genre d’avion minuscule, c’est facile de sauter en plein vol !). On arrive donc sains et saufs de cette aventure complètement folle !